mercredi 24 mars 2010

Dunkerque, un vieil enjeu européen …

Quelques mois avant de mourir, Louis XIV jetait au feu ses Mémoires, rédigées à l’intention de son fils le Grand Dauphin. Convaincu par le Maréchal de Noailles d’arrêter l’autodafé, le roi de France laisse quelques chapitres qui content sa version de la question dunkerquoise.

Dans les pages de 1662, Louis XIV revient sur l’achat de Dunkerque. C’est que depuis le désastre de Corbie en 1636, Paris est sans défense et il faut gagner de nouvelles provinces pour mettre la capitale à l’abri. Dunkerque n’est française que depuis 1646.
De l’autre côté de la Manche, les Anglais, en pleine révolution, aimeraient remettre un pied sur le continent. Cromwell, le Lord Protecteur, dépêche le colonel de sa garde auprès du Comte d’Estrades, gouverneur de Dunkerque depuis 1650. Louis XIV ne manque pas de souligner les offres anglaises faites à son serviteur : 2 millions de livres payables à Venise ou Amsterdam pour livrer la place.
Cromwell propose même de négocier pour lui des dignités si une paix est conclue avec la France. Pire encore, Cromwell se rapproche de Mazarin, réitère son offre de 2 millions de livres ainsi que des troupes anglaises pour aider à la lutte contre l’Espagne mais le prix reste le même : la ville et place de Dunkerque ! Le gouverneur de Dunkerque prend ses précautions : il fait formuler les propositions anglaises lors d’un conseil de guerre et envoie sa réponse à Cromwell en se plaignant, noblesse et honneur obligent, que l’on puise le croire capable d’infidélité à son souverain, qu’on l’imagine prêt à livrer la place sur un ordre autre que celui de son roi… Il est vrai qu’en des temps si troublés, la proposition est alléchante.

Un douloureux cas de conscience
Cromwell n’a d’autre choix que de s’adresser directement au jeune roi, encore sous la tutelle de sa mère et du cardinal Mazarin. En plus des 2 millions de livres, il s’engage à établir une alliance avec la France contre l’Espagne sur terre comme sur mer, mettant dans la corbeille 10.000 fantassins et 2.000 chevaux pour porter la guerre en Flandre auxquels s’ajoutent 50 navires de guerre devant les côtes durant les six mois d’été, réduits à une escadre de 15 vaisseaux pour l’hiver.
D’Estrades reçoit ces offres qu’il s’empresse de transmettre au roi alors à Poitiers mais la Régente et Mazarin rejettent l’alliance. Cromwell offre alors ses services aux Espagnols et fournit 10.000 hommes et 25 vaisseaux pour assiéger Dunkerque et Gravelines. Las ! Dunkerque revient en septembre 1652 aux Espagnols…
Que faire pour briser cette alliance si ce n’est promettre Dunkerque aux Anglais que la France ne possède pourtant pas ? L’affaire est risquée car, ainsi que l’écrit Louis XIV «leur union avec moi fut le dernier coup qui met l’Espagne hors d’état de se défendre» !
Le danger est grand, il note : «je me souvenais qu’ils étaient les anciens et irréconciliables ennemis de la France, dont elle s’était sauvée autrefois par un miracle, que leur premier établissement en Normandie nous avait coûté cent ans de guerre et le second en Guyenne trois cents ans…».
L’Alliance se conclut et, en vertu des accords, Dunkerque connaît une folle journée le 14 juin 1658. Turenne emporte la bataille des Dunes. La ville qui était espagnole le matin, devient française le midi pour être offerte aux Anglais le soir… Pourtant Louis XIV garde un œil sur la ville, l’ingérence est décidée : «je donnais ordre qu’on distribuât des aumônes considérables aux pauvres de peur que la misère ne les tentât de suivre la religion des Anglais» note alors le chef de l’Eglise de France (1).


Dunkerque à l’heure française
En 1661, Louis XIV envoie le comte d’Estrades en Angleterre pour envisager le rachat aux Anglais. La Révolution anglaise a fait long feu, un roi a été rétabli sur le trône mais il a constamment besoin d’argent. Toujours en manque de 2 ou 3 millions de livres, il ne peut lever de nouveaux impôts sans le consentement du Parlement.Endetté, il veut pourtant garder Dunkerque, la fortifier. Ancien gouverneur, d’Estrades connaît la place et conseille le roi des Anglais. En même temps, l’Espagne offre des sommes considérables pour racheter la ville perdue en 1658, le roi d’Angleterre préfère malgré tout la France, offrant une joie « extrême » à Louis… Reste la question financière. Le roi d’Angleterre demande 5 millions de livres payables de suite. Louis XIV négocie à 4 millions payables en 3 ans pour la place, ses munitions de guerre, ses canons, pierres, briques et bois…

Ayant vent du projet, la ville de Londres propose de payer pour garder Dunkerque dans le giron anglais mais Louis XIV estime que l’affaire est résolue car la parole est engagée et rend la vente officielle. Dunkerque devient définitivement française en 1662, seule ville flamande à entrer avec joie dans le royaume de France, après 4 ans d’occupation anglaise… D’ailleurs, Vauban comprit vite l’état d’esprit de ces nouveaux sujets : sa citadelle n’a quasiment aucune ligne de défense vers la ville, ultime preuve de confiance.

(1) par le Concile de Bologne de 1516, le roi a aussi l'autorité religieuse sur ses sujets

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