samedi 26 septembre 2009

Les Pays-Bas Français : une Histoire décomposée

Parler de l’histoire des Pays-Bas Français tient de la gageure. Les livres sont nombreux, les ouvrages savants emplissent des bibliothèques complètes, les recueils de cartes sont pléthore mais pour le grand public, qu’en est-il exactement ?

Bien peu en fait !

Car, comme pour toute chose, tout commence à l’école. Au cours des apprentissages dans le premier cycle, ce que nous appelions encore il y a quelques années l’Ecole Elémentaire, l’enfant découvre son environnement immédiat : le quartier de l’école, la commune, puis lentement, au cours des cinq années, appréhende les grandes lignes de l’histoire française…



Au collège, première partie du cycle secondaire, il découvre les grandes périodes de l’Histoire, reçoit une approche géographique générale en 6e, puis étudie les grandes régions du globe, voit l’Europe, puis termine le collège par des approches mondiales… et recommence au lycée… mais d’histoire de sa région : Rien !

C’est que le postulat développé en France est simple, voire simpliste. Il découle d’une volonté politique… et de deux constats.

Que dire de la volonté politique ?

La Constitution française affirme que la République est « une et indivisible ». Aussi, la part des études régionales ne peut avoir lieu d’être. On envisageait il y a une centaine d’années l’histoire de France au travers de ses grands personnages, il y a une soixantaine d’années par l’évocation de ses batailles et si possible de ses victoires, puis, depuis une bonne quarantaine d’années, grâce à l’influence de l’Ecole des Annales menée par feu Marc Bloch, par l’action des groupes sociaux et les phénomènes économiques, occultant souvent les impulsions données par les grands commis de l’Etat.

L’Histoire est affaire d’interprétations et de volonté politique.

Il faut donc envisager la réalité française comme l’agrégation de provinces qui, une fois unies, se fondent dans un tout qu’est la Nation et qui, conformément à la pensée de Fustel de Coulanges ou d’Ernest Renan, se reconnaît dans la volonté impérieuse de former une communauté se retrouvant dans les mêmes valeurs. De là naît le modèle d’intégration à la française : pas de communautarisme, pas de langue autre que le Français et adoption d’un mode de vie commun.

Mais, après tout, « quand on va à Rome, on vit comme les Romains »…

Or, ce qui vaut pour l’histoire existe déjà pour les langues avec l’adoption de la Charte européenne des langues régionales dans la réforme constitutionnelle vient mettre à mal ce principe avec toutefois des questions légitimes : quelles langues auront l’honneur d’être représentées, seront elles enseignées et enfin : où, comment et par qui ?

Il faut bien en convenir : faut-il enseigner le Flamand ou le Néerlandais, le Flamand parlé en France ou celui qui a été réformé en Belgique, quel Flamand dialectal privilégier ?

Et puis, si l’on respecte les frontières linguistiques : enseignera-t-on le Flamand seulement au Nord de la Lys mais au sud de cette dernière, sera-ce le Rouchi ou le Picard qui sévira dans les classes ?

Autrement dit, le législateur suscite plus d’interrogations qu’il n’apporte de réponses, réponses qui seront différentes selon qu’elles viendront des puristes, des linguistes ou des « folkloristes ».

Aussi, l’histoire des provinces avant l’entrée dans le royaume, puis dans la République ne peut être à l’ordre du jour car, ainsi, elle apporterait ipso facto, une approche selon laquelle ces provinces avaient leur vie, leur langue (notamment le cas en Flandre), leurs lois et coutumes… Puisque la Nation est une et indivisible, que cette unité est garante de stabilité (ce que l’on ne peut nier dans le cas français), il importe donc de n’étudier que celle-ci.

Ajoutons cependant à la décharge de la France que nous sommes dans un état-nation, enfanté par la monarchie absolue, baptisé par l’Empire et adoubé par la République ! Certains Anciens se rappellent certainement des écriteaux : « interdit de cracher et de parler Flamand » !

Le second problème tient à un constat : le manque de temps pour finir les programmes est souvent invoqué à chaque fin d’année, aussi souvent les enseignants ont l’impression d’opérer un véritable saupoudrage puisqu’il importe de finir en heure et en temps. Il n’est donc nullement question de dépasser le programme pour s’autoriser une approche plus régionale. Et quand je dis régionale, je pense notamment à une étude plus ciblée du Nord-Pas-de-Calais sans même arriver à une évocation de la Belgique limitrophe… On est donc encore loin des Pays-Bas Français.

Second constat mais pas des moindres, l’origine des enseignants. Si en France, les Professeurs des Ecoles sont nommés dans l’Académie où ils passent leur concours, il n’en est pas de même pour les professeurs du Second degré.

Ainsi « atterrissent » au Nord de la France moult candidats exogènes. Qui, peut-on les en blâmer, ont en tête de nombreux clichés sur la région et méconnaissent l’intégration tardive au Royaume de France puisque nos Pays-Bas ont été conquis par Louis XIV. Nous ne sommes français que depuis presque 350 ans, c’est somme toute assez peu au regard de l’Histoire de Flandre, que l’on nous en pardonne !

Or donc, ces professeurs issus de régions souvent lointaines, ont l’impression que l’histoire des Pays-Bas Français ne commence qu’au moment de la Révolution Industrielle. Nous fumes bastion de cette mutation profonde, certaines villes comme Lille ou Douai l’avaient même précédé en privilégiant les premiers ateliers urbains. Les transformations des deux premières révolutions industrielles ont occasionné maints bouleversements. De fait, par l’appel à une main d’œuvre qui manquait, elles ont aussi provoqué de nombreux courants migratoires assez durables, notamment depuis la Belgique proche.


La quasi-totalité des migrants fit souche, et modèle d’intégration français oblige, a oublié ses racines en peu de générations. Pour les Flamands installés à Lille et sa région à cause de la crise du textile belge, ne restent plus que les patronymes et quelques mots survivants dans le langage courant. De Belges, on les définissait comme Flamands. Une fois Français, le souvenir des origines s’estompent. Un exemple ? Ma famille maternelle est de Flandre belge mais personne n’est capable de me dire de quelle commune du littoral est issu mon propre arrière-grand-père : Ostende ou Nieuport ?

Car, il faut en convenir, malgré le film « Bienvenue chez les ch’tis » - avec une belle licence dramatique, Bergues est Flamande) - on ne se lasse pas des clichés et autres poncifs sur la région, sa population donc son histoire.

Comment demander d’enseigner spécifiquement l’histoire des Pays-Bas Français dans de telles conditions à des personnes qui, la plupart du temps, en ignorent tout ?
Certes, l’on rétorquera que ce n’est question de préparation et d’étude mais il faut avouer que la plupart découvriront cela en même temps que leurs élèves. Et de s’apercevoir que les terrils et les corons ne couvrent pas toute la région, que certaines villes étaient tournées vers l’Islande et ses morues, que les paysans flamands de l’intérieur étaient assez riches pour mettre du beurre sur leur pain alors que dans d’autres régions, on se contentait de fèves !

Aussi doit-on actuellement se contenter de quelques saupoudrages de part et d’autre des programmes. Ce n’est pas enseigner l’histoire, c’est picorer !

Côté belge, la situation politique actuelle ne plaide pas en faveur d’un enseignement de l’histoire des Pays-Bas Français. Le repli communautaire nettement sensible fragilise l’ouverture vers l’extérieur. Les progrès d’une certaine droite extrême tendent à isoler la Flandre. Ceci est d’autant plus net que la Belgique est un état fédéral. Difficile dans le cas d’un état construit de façon artificielle de reconnaître que, de l’autre côté de la frontière, il y ait une communauté d’esprit, un patrimoine commun même si l’on célèbre presque partout Van Artvelde. D’ailleurs, la commémoration de la bataille des éperons d’or, chaque année à Courtrai, est un des ciments de la communauté (tout comme le pèlerinage de l’Yser) mais qui exclut les cousins de France qui, à l’évidence, sont plus Français que Flamands alors que leurs ancêtres étaient au milieu des milices à se battre contre la fine fleur de la chevalerie française.

Une telle reconnaissance serait à l’évidence plus facile à obtenir en Wallonie car le rattachisme, qui propose l’intégration à la France, gagne de plus en plus de terrain face aux disputes avec les Flamingants.

De part et d’autre, des carences nombreuses.

Combien d’habitants du Nord de la France savent que la Flandre est à l’origine cette petite bande côtière coincée entre Bruges et l’Yser ? Que les Flamands ont possédé l’Artois, le Ternois, etc. … La liste est longue, ne nous y attardons pas… D’ailleurs, combien savent les innovations que l’on doit à la circulation des hommes, des biens comme des idées avant que les frontières ne viennent séparer les familles ? N’était-ce pas là, d’ailleurs, la principale crainte des négociants lillois lors de la conquête de la Flandre par Louis XIV en 1667 ?

L’intégration au royaume a donc parfaitement fonctionné. Les frontières imposées par la guerre de Dévolution n’ont quasiment pas été remises en cause par la Paix d’Utrecht, ni par les guerres suivantes. Nul n’a remis en question ce partage artificiel, pas même la naissance de la Belgique en 1830 ! Malheureusement, il faut aussi le dire, le seul effacement de la frontière ne se fit que durant une période noire. Les Pays-bas Français occupés par l’Allemagne entre 1940 et 1945 étaient zone interdite rattachée non à Paris mais au commandement à Bruxelles ! Difficile de faire l’impasse sur un souvenir aussi douloureux.

Autre lacune – et non des moindres – est l’absence de littérature commune aux Pays-Bas Français. Si les universitaires ont parfaitement compris l’unicité des Pays-Bas Français et de la Grande Flandre, les ouvrages de vulgarisation manquent. Or, c’est des attentes du grand public que viennent les interrogations des concepteurs de programmes scolaires qui se targuent, avec souvent « un train de retard » de coller aux désirs de la population. On l’a vu en France avec le faux problème de l’Education Civique ou de l’enseignement du fait religieux.

Ainsi, le manque de sources aisément accessibles au plus grand nombre provoque une méconnaissance générale du problème. Dans la plupart des ouvrages, l’on s’arrête aux frontières actuelles… ce qui ne manque de frustrer le lecteur.



Et dans l’avenir ?

Peut-on espérer que l’histoire des Pays-Bas Français soit enseignée en France comme en Belgique ?

La question est et reste dangereuse car il faudrait alors passer par quelques réformes qui entameraient l’unité nationale et la conception de l’Etat.

La première piste serait un effacement total de l’Etat au profit de l’Europe. Sachant qu’en France, plus de 70 % des lois et règlements émanent de l’Union Européenne, avec les difficultés que l’on sait, il serait difficile d’envisager un programme commun à tous les membres. Les horaires n’étant pas extensibles à l’envie, non seulement l’on ne pourrait évoquer l’histoire régionale mais l’on ne pourrait plus aborder l’histoire nationale, diluée qu’elle serait dans celles des partenaires.
D’ailleurs, certains manuels ont été rédigés et l’on a vu disparaître certains personnages de référence tels Jeanne d’Arc.
Comment traiter par exemple des deux Guerres mondiales en conciliant les visions française et allemande ?
Comment parler de Napoléon, personnage déjà controversé en France, honni en Allemagne comme au Royaume-Uni ?

Une autre voie à explorer serait alors la régionalisation. Ceci reviendrait à dissoudre l’Etat jacobin au profit d’une régionalisation plus poussée que ne le prévoit la loi de mars 1982. L’Etat français y travaille avec la majorité actuelle mais, il faut en convenir, sans nécessairement opérer les transferts financiers nécessaires. Or, l’abandon des prérogatives régaliennes sur l’enseignement et l’éducation, à l’image de l’Allemagne fédérale, produirait ipso facto des inégalités terribles. Le Nord-Pas-de-Calais n’est pas une région aussi riche que d’aucuns voudraient le croire, l’enseignement pourrait a fortiori faire les frais d’une telle réforme tant les besoins des programmes sociaux et d’équipement sont criants… L’on pourrait néanmoins envisager la définition de programmes interrégionaux à l’image de ce qui se pratique pour les subventions dans le cadre des procédures Interreg, quitte à procéder à des échanges d’enseignants.

Finalement, la seule possibilité réaliste réside dans la création d’un enseignement optionnel sur l’histoire des Pays-Bas Français, en recourrant à des enseignants qualifiés si ce n’est intéressés et volontaires, permettant – comme pour les langues « rares » - de n’attirer qu’un public motivé et non contraint.

En définitive, dans une telle optique, c’est la volonté politique qui fait cruellement défaut car peu d’élus sont véritablement conscients de l’identité flamande. Rares sont les Jean Delobel et autres Jean-Pierre Decool qui savent combien le Flamand et sa culture comme son identité, sont indissociables du territoire, de la Flandre comme des Pays-Bas Français et qui savent qu’il faut transcender les frontières… Reste à convaincre les autres….


François Hanscotte
A Bailleul et Dunkerque, septembre 2008

in KFV - Mededelingen, jaarnummer 2009 - 37e Jaargang

vzw KFV-MEDEDELINGEN? PP 32-36

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