mardi 16 décembre 2008

8 octobre 1917 : quand Dunkerque demandait plus de protection face à l'ennemi

tiré du registre des délibérations de la commune de Saint-Pol-sur-Mer (côte D I 8), séance du conseil municipal du 14 novembre 1917:

Défense de Dunkerque et de la Région

M. le maire donne lecture au conseil municipal de la requête ci-après remise à M. Painlevé, Président du conseil, ministre de la guerre, au nom des maires de la région par M. Terquem, maire de Dunkerque.

« Dunkerque, le 8 octobre 1917
« Monsieur Painlevé,
Président du Conseil, Ministre de la guerre,
Paris

Monsieur le Président,
Les mandataires de la région de Dunkerque qui vous présentent ce document et viennent faire un pressant appel au Gouvernement pour être mieux défendus, n’agissent pas dans un intérêt particulier, égoïste, demandant plus pour eux que pour toute autre partie du territoire national ; ils ont conscience qu’ils représentent une partie du patrimoine de la France, partie à laquelle le labeur, le courage obstiné, la confiance indéfectible des populations dans les destinées du pays ont donné une valeur exceptionnelle.
S’ils viennent donc insister avec toute l’énergie que leur dicte la conscience de leur devoir, ce n’est pas seulement pour préserver la vie et les propriétés de leurs concitoyens, mais pour ne pas voir briser, sous leurs yeux, un instrument de travail nécessaire à la victoire économique et militaire de la France.

Situation de Dunkerque – aucune ville des pays actuellement en guerre ne possède une situation aussi dangereuse que Dunkerque. Placée à trente kilomètres du front, elle est placée sous les feux des canons à longue portée de l’ennemi ; les avions la survolent en quelques instants ; arrivent soit par terre, soit plutôt par la mer et peuvent se livrer à leurs attaques et s’enfuir, sans que leur arrivée ait put être signalée, la mer, les bassins, les canaux qui l’entourent en permettent un repérage facile ; enfin, située au bord même de la mer, elle est, en outre, exposée aux attaques des navires ennemis.

Attaques de l’ennemi – Depuis trois ans, Dunkerque a subi tous les modes d’attaque ; 92 bombardements par avions avec 2.062 bombes, un bombardement par Zeppelin avec 11 bombes, deux bombardements par mer avec 65 obus et 14 bombardements par 380 avec 28 obus.
Les victimes ont été, pour l’agglomération, 399 tués et 898 blessés dont 150 tués et 200 blessés en septembre 1917 seulement.

Valeur économique et militaire – La valeur économique de Dunkerque (3e port de France, admirablement aménagé et outillé, entouré de nombreuses usines) n’a pas à être démontrée et l’utilisation de son port, au point de vue militaire, tant pour le ravitaillement des armées que comme base d’opérations dans la Mer du Nord, est tout aussi évidente. La plupart des usines qui entourent la ville travaillent en outre pour la défense nationale. C’est donc, à tous égards, un centre de production de premier ordre que la France a le plus grand intérêt à garder intact et productif, et qu’au contraire l’ennemi a le plus grand intérêt à détruire et neutraliser. On sait que les autres ports regorgent de navires et de marchandises ; celui de Dunkerque qui a été privé de tout commerce ou presque depuis la guerre, est un appoint de premier ordre et rend à l’armée et au pays des services appréciables.

Quels résultats ont obtenu les attaques de l’ennemi – Sauf pendant les mois de mai, juin et juillet 1915 où la vie a été ralentie par le bombardement de 380, la vie économique de Dunkerque et de sa région, grâce au courage et à la ténacité admirable de ses habitants, a été maintenue dans des conditions remarquables.
Les bombardements de septembre 1917, par leur violence, leur fréquence et les résultats terrifiants obtenus ont complètement l’aspect des choses ( sic !). L’exode se fait de jour en jour, sans hâte, sans panique mais irrésistiblement. Ceux que rien ne retient quittent le pays, beaucoup emportent leurs meubles. La ville se vide, plus encore les communes voisines dont les habitations, moins solides, offrent un abri absolument nul contre les nouveaux et puissants engins employés par l’ennemi.
Les magasins se ferment sans esprit de retour (sic !), les industriels voient leurs ouvriers les quitter et bientôt, sans doute, de grosses usines vont devoir restreindre singulièrement leur production, sinon l’arrêter. C’est, dès à présent, la ruine pour le pays jusqu’à la fin de la guerre.
La nécessité d’éteindre les lumières à la tombée de la nuit va considérablement diminuer les heures de travail car même les lumières pussent-elles être masquées, les ouvriers et ouvrières ne voudront plus circuler à l’heure où se produisent généralement les attaques ennemies.
On manquait déjà de main-d’œuvre au port, la pénurie se fera sentir plus durement encore ; le déchargement se trouvera lui aussi ralenti et par ces raisons et par le raccourcissement de la journée. Donc dans un premier résultat : diminution, dans des proportions considérables, de la productivité des usines et diminution, par conséquent du patrimoine et des forces de la France.
Mais les attaques ennemies, outre cette paralysée actuellement partielle, dont elles ont frappé notre région, ont causé des dégâts considérables et fait trop de nombreuses victimes.
En une seule nuit, de multiples incendies allumés ont occasionné pour plus de 20 millions de pertes, détruisant des entrepôts, des matières premières indispensables ; plus de 20 maisons ont été totalement détruites et plus de deux cents rendues inhabitables. Au point de vue militaire proprement dit, la destruction d’une grande partie des centres d’aviation anglais et français de Saint-Pol-sur-Mer montre que l’acharnement de l’ennemi a obtenu des résultats dont il peut se réjouir à juste titre comme d’une victoire.

Quels résultats peut obtenir la continuation des attaques – mais le dernier mot n’est pas dit. Les bombes à grande puissance employées peuvent convertir les dégâts actuels en véritables désastres ; des établissements industriels peuvent être incendiés ou détruits, une bombe bien placée peut rendre inutilisable l’usine centrale de force motrice commandant l’outillage et les écluses du port, détruire ou bien fausser l’une de ces écluses, immobiliser ainsi, pour longtemps, le trafic ; une bombe bien placée peut encore détruire d’autres établissements militaires, d’autres centres d’aviation. La continuation des attaques peut entraîner l’exode plus complet des habitants, frappant ainsi complètement l’activité et la productivité de toute une région des plus prospères.

Moyens de défense – Pour empêcher ces attaques ou tout au moins les châtier de telle façon que l’ennemi devienne plus prudent ou plus circonspect, a-t-on employé le maximum des moyens de défense qu’auraient exigé l’importance du camp retranché et la valeur nationale ?
Nous n’avons pas à nous faire juge des questions d’ordre militaire, nous ne voulons pas apprécier des choses sur lesquelles nous n’avons pas et ne devons avoir aucun contrôle, ne pouvant en porter les responsabilités, mais nous avons le devoir de raisonner avec notre simple bon sens et d’exposer des faits. Il suffit de se trouver dehors un soir d’alerte pour s’apercevoir qu’il n’y a, pour éclairer le ciel autour de Dunkerque, que six ou sept projecteurs dont la plupart, d’une puissance insignifiante, et l’on a l’impression qu’ils doivent être absolument insuffisants pour découvrir facilement les avions, les maintenir dans leur rayon ou tout au moins les gêner.
Quand on déclenche le tir, il semble qu’il doive y avoir tout au plus une douzaine de canons, probablement de 75 qui ouvrent le feu et font des barrages, généralement assez faibles. Enfin, le bruit a couru, d’autre part, qu’une escadrille était affectée à notre défense mais qu’une partie de ses appareils avaient été brûlés lors de l’incendie récent du centre d’aviation de Saint-Pol-sur-Mer. On avait parlé également d’une défense par ballonnets comme à Venise mais il ne semble pas qu’on ait donné suite à ce projet. Donc, en résumé, six ou sept projecteurs, une douzaine de canons et une escadrille squelette pour défendre une place de première importance.
Nous n’apprécions pas mais nous devons comparer avec ce que nous avons sous les yeux.

Défense d’Ostende – Quand nous allons le soir sur la plage et nous entendons nos avions de bombardement se rendre sur Ostende, à peine ont-ils franchis les lignes que nous voyons s’allumer de puissants projecteurs, parfaitement visibles à 45 kilomètres ; nous en avons compté jusque 17 puis nous voyons éclater en même temps des nuées de schrapnells tirés certainement par des grosses pièces. Les aviateurs nous disent combien l’éclat des projecteurs et le tir rendent le séjour difficile au-dessus d’Ostende et combien ils ont le souci de jeter rapidement leurs bombes pour sortir au plus vite de cet éclairage et de ces éclatements.

Comparaison – Cette comparaison démontre aux moins informés que ce qui constitue la défense aérienne de Dunkerque est de beaucoup inférieure à ce qu’ont fait les Allemands pour la défense aérienne d’Ostende et nous sommes obligés de conclure que les moyens mis entre les mains des autorités chargées de notre défense sont nettement insuffisants par comparaison avec ceux mis en oeuvre par nos ennemis.

Conclusion – Nous (ne) demandons pas l’impossible, nous ne demandons pas qu’on empêche l’ennemi d’attaquer un point - plus exposé que tout autre – qu’il a le plus grand intérêt à défendre ; ce que nous demandons, c’est que d’urgence et sans délai, - et dès avant la prochaine lune – on donne satisfaction aux demandes d’accroissement de défense qui paraissent s’imposer même aux esprits les moins informés – moyens de défense réclamés en vain depuis plus deux ans avec obstination, par nos Parlementaires, ce que nous demandons, c’est qu’une protection, aussi efficace que possible, soit accordée à une partie des forces économiques et militaires de la France, représentée par notre région ; ce que nous demandons c’est d’avoir l’impression qu’au moins le maximum d’efforts a été fait, après quoi – mais après quoi seulement – nous supporterons patriotiquement et sans récriminer les risques inévitables qu’impose la guerre à une ville proche du front.
Notre devoir de Français, d’abord, de Dunkerquois ensuite, nous impose de vous tenir ce langage. De même qu’aucune partie du sol national ne doit-être cédée à l’ennemi sans avoir été défendue, de même aucune parcelle de la puissance de notre pays ne doit être exposée à la destruction sans avoir été suffisamment protégée surtout, quand le risque que doit courir l’ennemi pour atteindre son but est infime ou égard aux résultats à obtenir, surtout aussi quand les moyens de défense sont insignifiants ou égard à l’importance de la région à protéger.

Les signataires de cette requête sont avant tout des Français conscients de leurs devoirs vis-à-vis de leur pays, des administrateurs soucieux de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs commettants. Ils auraient cru trahir les intérêts supérieurs du pays en gardant le silence sur les circonstances actuelles et en ne démontrant pas, par un exposé d’ensemble au Chef du Gouvernement et les résultats considérables déjà acquis par l’ennemi et ceux qu’ils peuvent encore obtenir si des mesures immédiates et sérieuses ne sont pas prises d’extrême urgence.

Ils comptent fermement sur la vigilance du Gouvernement pour donner satisfaction à leur pressante démarche et vous prie(nt) d’agréer, monsieur le Président, l’expression de leurs sentiments respectueux et dévoués.

Le maire de Dunkerque
Le Président de la Chambre De commerce
Le maire de Coudekarque-Branche
Le maire de Malo-les-Bains
Le maire de Petite-Synthe
Le maire de Rosendaël
Le maire de Saint-Pol-sur-Mer

A la suite de cette communication, M. Chagnon propose au conseil municipal le vœu suivant

«Considérant que par suite des départs continuels des habitants, conséquence inévitable des bombardements successifs que nous subissons, il sera bientôt impossible d’équilibrer notre budget communal.
Le conseil émet le vœu que le Gouvernement examine la situation et prenne des mesures énergiques nécessaires pour la sécurité des habitants de la région.
Fait remarquer qu’il est regrettable qu’après plus de trois années de guerre, nul ne sait encore à qui incombe les responsabilités lorsque des accidents surviennent,
Qu’une région industrielle et commerciale comme la nôtre doit être efficacement défendue et protégée,
Et sollicite afin de rendre la vitalité au pays que l’on accorde dans la mesure compatible avec la défense nationale le plus de sursis possible aux hommes des vieilles classes mobilisées des différentes professions
."
Ce vœu est adopté à l’unanimité.

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