mercredi 29 août 2007

Le sacro-saint droit à l'image battu en brèche

par FRANÇOISE DARGENT. - Le Figaro
Les procès gagnés par les photographes illustrent un rééquilibrage de la jurisprudence plus favorable aux artistes.

IL FUT un temps où les anonymes faisaient le bonheur des photographes. Un coup d'oeil sur l'oeuvre de Robert Doisneau ou de Willy Ronis suffit à s'en convaincre. Puis, est arrivé le droit à l'image qui a largement compliqué la tâche des photographes. Rares sont ceux qui, aujourd'hui en France, se risquent à photographier des individus sans leur demander d'autorisation, de peur de se voir traîner en justice. Dans ce contexte, les procès gagnés en mai et juin par le photographe François-Marie Banier apparaissent bien comme une victoire pour les tenants du droit à l'expression artistique et à l'information.

Au coeur des affaires débattues devant le tribunal de grande instance de Paris se trouve son livre Perdre la tête (Gallimard 2005), un ouvrage où se succèdent portraits de personnalités et d'anonymes, sorte de sarabande d'images figurant pour l'auteur notre société actuelle. L'ouvrage a connu un beau succès. Il a déjà été réédité et ce travail a donné lieu à plusieurs expositions dont l'une à Rome à la Villa Médicis. Il a aussi fait l'objet de trois procès ce qui est rare pour un livre d'art. Trois procès que l'artiste et les éditions Gallimard ont gagnés.

Privilégier la liberté d'expression artistique
Le dernier procès qui regroupait conjointement deux plaignantes, s'est tenu le 25 juin dernier, devant le tribunal de grande instance de Paris. Il concernait deux femmes majeures protégées, l'une placée sous tutelle judiciaire, l'autre sous curatelle. Elles apparaissent dans le livre de François-Marie Banier, l'une riant avec un bonnet sur la tête, la bouche grande ouverte, la seconde, en train de grimacer face à l'objectif. L'association espace tutelles qui a saisi le juge en leur nom a dénoncé une atteinte à la vie privée et une atteinte à la dignité. Le tribunal les a déboutées en estimant que les plaignantes n'étaient pas présentées «dans des situations humiliantes ou dégradantes». Il a, au contraire, souligné «l'humanité des personnages, ainsi que celle du regard du photographe qui traite ses sujets avec respect et tendresse». Il a affirmé le fait qu'il convenait de privilégier la liberté d'expression artistique sur le droit à l'image des personnes.

Une précédente plainte avait été déposée par une femme que le photographe avait saisie, assise sur un banc public en train de téléphoner. Cette plaignante a fait valoir le préjudice que pouvait lui causer ce portrait dans «un recueil essentiellement consacré à l'exclusion et à la marginalité». Le 9 mai dernier, le Tribunal de Paris l'a déboutée au motif que «le droit à l'image cédait devant le droit à l'information». Quant au préjudice subi par la plaignante, le tribunal indique n'avoir «aucun élément de nature à convaincre d'un préjudice particulier dont elle aurait souffert autre que les réactions émues de certaines de ses proches de la voir figurer dans un musée des horreurs». La femme a fait appel. Entre ici la notion de préjudice sur laquelle se battent depuis plusieurs années les professionnels confrontés à des procès. Ceux-ci aimeraient justement modifier le sacro-saint article 9 du code civil sur ce droit à l'image absolu en faisant en sorte que les actions en justice soient subordonnées à la démonstration d'un préjudice réel. "Si la jurisprudence se fait plus favorable aux photographes, les textes relatifs à la protection de la vie privée n'ont pas changé, explique Pascale Marie, membre de l'Observatoire de l'image qui regroupe des professionnels de l'édition. Ces affaires restent à la merci de l'appréciation souveraine du juge et du tribunal. On a quand même vécu un enfer pendant plusieurs années. Pendant longtemps, une absence d'autorisation se traduisait immanquablement par une condamnation, ce qui a abouti à des affaires sidérantes.» Voire caricaturales. Elle cite un exemple parmi d'autre cas, celui d'une photo publiée, en 1999, dans le magazine Ca m'intéresse. Pour avoir publié une image illustrant un article sur les aquariums public et montrant un homme accompagné d'un enfant regardant à travers un hublot, le mensuel a été condamné à verser des dommages et intérêts à quatre personnes différentes.

Mais les temps ont réellement changé depuis 1999. Plusieurs procès ont mis en avant la prééminence du droit à l'information sur le droit à l'image. Dans les procès Banier, c'est la notion d'oeuvre artistique qui entre en cause. En 2004 déjà, le tribunal de Paris avait reconnu le caractère artistique original d'un travail de Luc Delahaye qui avait photographié les passagers du métro et en avait fait un livre (L'Autre, Phaidon). Le tribunal avait alors fait primer le droit à l'information garanti par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme sur l'article 9 du code civil. Un retournement.

Une législation favorable
«Il est évident que les juges recherchent un meilleur équilibre dans ces affaires, souligne Laurent Merlet, l'avocat des éditions Gallimard. L'influence du droit européen est certaine. Les anonymes pensent souvent qu'ils peuvent gagner beaucoup d'argent sur leur image. Ils oublient que le droit est fait de nuances et qu'il faut le contrebalancer avec un intérêt sociologique, culturel, informatif ou artistique.»
Si la législation semble évoluer favorablement pour les photographes, il faudra du temps, dans la pratique, pour que ceux-ci retrouvent leur spontanéité.

Las de faire signer des autorisations avant toute prise de vue, le photographe anglais Rip Hopkins a voulu dénoncer les abus de ce droit à l'image qui pourrit sa vie en France. Pour sa série «Paris anonyme», la plupart des personnes ont accepté d'être photographiées avec un masque blanc sur le visage. Il est formel : «ils n'auraient sans doute pas accepté de poser le visage nu. Aujourd'hui, les gens voudraient donner une image d'eux mêmes qui ne correspond finalement pas à la réalité. Notre vie devient de plus en plus artificielle, et on construit de plus en plus sur le virtuel». Avec un risque : à force d'être chassé, le naturel pourrait bien ne jamais revenir.

l'article original à l'adresse : http://www.lefigaro.fr/culture/20070827.FIG000000299_le_sacro_saint_droit_a_l_image_battu_en_breche.html

A mon humble avis, vu les dernières tracasseries, je ne suis pas si sûr que cet article soit valable pour les photographes amateurs de base comme mes amis et moi-même !

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