samedi 25 novembre 2006

L'aide aux sinistrés dans le Nord pendant la dernière guerre: le cas saint-polois

L’action municipale au profit des populations occupées (1940 – 1945) :
le cas de Saint-Pol-sur-Mer


L’occupation de la Zone Nord, placée sous l’autorité directe du commandement allemand de Bruxelles, installé au Palais de Laaken, a fait l’objet de nombreuses études et recherches[1] mais la commune de Saint-Pol-sur-Mer est un cas un peu spécial puisqu’elle subit de plein fouet sa proximité avec Dunkerque, port convoité par les Allemands et occupé jusqu’au dernier jour du conflit au même titre que les « Poches de l’Atlantique »[2].

Commune limitrophe du port de Dunkerque, elle est touchée par les combats dès les premiers jours de l’invasion allemande : les bombardiers lâchent des tapis de bombes sur l’agglomération en visant les infrastructures ferroviaires, portuaires et pétrolières tout comme les grandes usines[3]

Les affrontements de l’opération Dynamo y font de nombreuses victimes et, comme dans le reste de l’agglomération, la population civile s’est trouvée prisonnière de l’inexorable avancée des troupes du IIIe Reich. La ville passe sous occupation ennemie et ce, jusque au 9 mai 1945, puisque le Vice-amiral Frisius, n’accepta la reddition que sur ordre de l’Amiral Doënitz, successeur d’Hitler.



Se préparer au pire

Comme en 1914, on se prépare activement au conflit dès le 10 septembre 1939 : ordre est donné de mettre en place la Défense Passive. Nul ne doute que la commune est sur la liste des objectifs, et combien même, sa proximité immédiate avec le port dunkerquois laisse penser à raison qu’elle subira des dommages collatéraux.

Les subventions allouées sont insuffisantes car il faut « de plus de mille deux cents mètres courants de tranchées, l’aménagement des postes de secours, salle de maternité, la consolidation des caves malgré le concours bénévole de la population civile »[4].Il faut aussi aider les hommes sous les drapeaux : ainsi au conseil municipal du 28 janvier 1940, Charles Duriez[5] rend compte au conseil municipal « qu’à la suite du vote d’un crédit précédent de 15.000 francs, plus de 300 colis ont été envoyés à des mobilisés de Saint-Pol-sur-Mer mais qu’il reste encore beaucoup d’appelés qui n’ont pas encore reçu de colis. Il demande au conseil municipal de voter un nouveau crédit de 15.000 francs à prélever sur les fonds libres de l’exercice 1939 pour permettre à l’œuvre « aide aux soldats combattants » d’adresser un colis à ceux qui n’en ont pas reçu. ».


Une marge de manœuvre inexistante dans la gestion municipale

En qualité de ville occupée, la gestion de la commune ne passe pas entièrement sous administration de l’occupant. Celui-ci installe une Ortskommandantur dans la mairie et édicte immédiatement une kyrielle d’arrêtés, d’interdits et de mises en garde que doit appliquer le conseil municipal alors même que celui-ci n’a plus que la gestion des affaires civiles – entendons par là la gestion des situations sociales. La municipalité doit jongler entre restrictions de circulation, gestion des dommages de guerre (donc du problème crucial du relogement) et approvisionnement en produits nécessaires à la vie courante tels que vêtements, nourriture et chauffage.

La municipalité menée par Charles Duriez est alors (déjà) confrontée aux problèmes de précarité : le bureau de bienfaisance octroie sans cesse plus de dons et il importe de trouver des aides pour les chômeurs : la population est constitue essentiellement de dockers, d’ouvrières en filature et de petits commerçants, privés de ressources par l’arrêt des usines et du port.



L’installation dans l’économie de guerre

1940 s’annonce comme un exercice difficile, il faut s’assurer de nouveaux moyens de financement car les dépenses sont extraordinaires : nul ne peut par avance chiffrer les besoins. Il faut même se résoudre à débloquer des fonds (60.000 francs) pour les « dépenses causées par fait de guerre »[6].

Les destructions sont nombreuses dans la commune mais aucune mention n’est faite de la bataille de Dunkerque ou de l’entrée des troupes allemandes venues prendre possession des lieux. Les fonds municipaux sont sans cesse sollicités et les entrées d’argent se font de plus en plus rares : qui peut travailler dans une ville sinistrée, adossée à un port interdit au commerce et où la navigation est rendue impossible alors que l’essentiel de l’activité est liée au trafic portuaire?

Le conseil municipal multiplie les demandes d’aides aux gouvernements successifs[7]. Il doit aussi apporter son soutien aux prisonniers de guerre : plus de 600 saint-polois sont en effet retenus dans les camps allemands. Le maire obtient donc du conseil[8] l’achat de produits destinés à l’élaboration de ces colis pour pallier les difficultés « qu’éprouvent les familles de prisonniers pour obtenir les produits nécessaires à la confection des colis et signale que par l’intermédiaire du Secours National du chocolat, des conserves et des biscuits ou pains d’épices peuvent être obtenues par les collectivités. »

Un crédit de trente mille francs est alors alloué pour l’achat de produits destinés à la confection de colis pour les prisonniers de guerre, mais la gestion n’est pas municipale pour autant car le conseil désigne « M. Desoutter, directeur du Comptoir Linier[9], trésorier de l’œuvre du colis au Prisonnier et du Secours National comme régisseur à qui l’avance des fonds seraient faits par le receveur municipal ». Le 6 octobre 1941, l’opération est réitérée, preuve s’il en est des difficultés d’approvisionnement qu’éprouvent les habitants autant que des faibles subsistances que reçoivent les prisonniers : « l’œuvre du colis aux prisonniers, créée à Saint-Pol-sur-Mer, sollicite une subvention pour lui permettre de confectionner et d’envoyer des colis aux six cents prisonniers de guerre que compte la commune ». Soixante mille francs, la somme est conséquente et sera payée au fur et à mesure de ses besoins au trésorier du groupement. La précarité avance à grands pas…

Comme si cela ne suffisait pas, il incombe au maire de donner son avis au Préfet du Nord sur les loyers des habitations provisoires mises à disposition des sinistrés, du moins lorsque celles-ci seront effectivement livrées[10]. La ville est dans un état avancé de délabrement.



La réorganisation des corps municipaux par Vichy ne change rien

L’année 1942 marque un changement dans le fonctionnement des communes. En effet, les conseils ne sont plus élus mais nommés par le Préfet, représentant de l’Etat Français.

C’est ainsi que Charles Delacre[11] installe son équipe municipale le 15 mars 1942 en présence du Sous-préfet de Dunkerque[12]. Le discours ne peut néanmoins passer sous silence les conditions matérielles désastreuses de ses concitoyens, bien que l’on dénote un certain angélisme en parlant simplement de rendre la ville plus belle et plus prospère[13] : « Notre plus grande préoccupation sera la bonne administration de la ville à la population essentiellement ouvrière et laborieuse, nous nous dépenserons sans compter avec le meilleur de nous-même.

Permettez-moi d’adresser un souvenir aux victimes de la guerre ; notre pensée va également vers nos chers prisonniers qui sont au nombre de 573, nous continuerons à nous occuper de ces chers absents, nous nous mettrons en relation avec ces personnes dévouées qui s’occupent de ce comité d’entraide et dont la vigilance est digne d’éloge et que nous remercions.

Nous connaissons le courage de la population devant les derniers évènements, son travail persévérant, ses initiatives. Nous devons, avec toutes ces qualités, arriver à faire notre commune plus belle et plus prospère. »

La première préoccupation de ces conseillers nommés est identique à celle de leurs prédécesseurs : lever des fonds. Le premier réflexe, en absence de rentrée fiscale, ne peut qu’être de se tourner vers l’Etat alors que celui-ci n’a pas les mains totalement libres dans la zone occupée et qu’il doit aux Allemands d’exorbitantes indemnités d’occupation quotidiennes.

La demande de classement de la commune est cependant adressée le jour même de l’installation du conseil, profitant, il faut en convenir, de la présence du Sous-préfet, lui-même chargé d’une sous-préfecture particulièrement appauvrie par les dommages de guerre : « L’assemblée demande à M. le Sous-préfet de vouloir bien intervenir pour que Saint-Pol soit classée dans les localités bombardées à partir du 1er juillet 1941 tout comme Dunkerque, Coudekerque-Branche et Petite-Synthe alors que Saint-Pol n’est classée qu’à partir du 1er janvier 1942 et demande que cette iniquité soit relevée. Saint-Pol a été bombardée autant sinon plus que Dunkerque-Petite-Synthe et que nous pensons qu’il s’agit simplement d’une erreur de l’administration »[14]. Quoique tardive, cette reconnaissance permet d’obtenir plus de subventions et de bénéficier du système de parrainage instauré par Vichy.



Des demandes de secours sans cesse plus lourdes

L’activité en faveur des sinistrés connaît de surcroît un regain alors que les restrictions se font encore plus sévères. Le même jour, on décide d’un contrôle plus strict des déplacements de l’ambulance – dont l’essence est rationnée – en notant par ailleurs une nette augmentation des sorties des pompiers et de l’utilisation des pompes. Il faut aussi solliciter le Secours National pour obtenir des colis en nature pour les hospitalisés. la situation n’étant guère meilleure à Dunkerque, les malades ne peuvent essentiellement compter que sur leurs proches pour être ravitaillés. Ceci est d’autant plus mal aisé que peu de produits de consommation courante arrivent à Saint-Pol-sur-Mer et celles-ci affichent une flambée des prix qui les mettent hors de portée des populations les plus pauvres. En avril 1942, il devient essentiel d’obtenir une meilleure dotation en charbon pour le chauffage individuel : la quotité disponible a été fortement réduite à partir de ce mois alors que le temps n’est pas clément et que les habitations, endommagées, en mauvais état, n’offrent plus le plus souvent une protection nécessaire.

Ce n’est pas mieux en ce qui concerne les vivres. La demande des conseillers municipaux[15] d’une révision des prix du poisson et des crevettes se fait plus pressante, chiffres à l’appui pour « permettre ainsi à une population laborieuse de profiter plus largement de ce moyen de ravitaillement » :

« Considérant que le prix de vente aux consommateurs du poisson et des crevettes représentait avant septembre 1939 au kilo
Limandes (espèce de qualité moyenne) 4,25
Harengs frais 2,50
Crevettes cuites 7,50

Par rapport aux prix actuellement imposés
Limandes 27,50
Harengs frais 19
Et salés 27
Crevettes cuites 30, 40

Le poisson de choix variant de 33,50 à 53,80, le hareng salé taxé à 27 francs sera porté prochainement à 29,50. La marge, aux différents échelons de la vente, parait particulièrement importante.
C’est ainsi que pour le prix, en harengs frais, le décompte s’établit comme suit :

Commission départ de Gravelines 2,50
Redevance pour le comptoir 0,50
Frais de transport 0,25
Gain théorique du vendeur 4,75


En ce qui concerne les crevettes cuites, l’écart entre les prix aux détaillants et ceux aux consommateurs représente 10, 45 au kilo. »

L’on manque de tout dans la commune : pas assez de chevaux pour les corvées, manque de pommes de terre et de légumes secs dont on demande la livraison avant les gelées. Les prix de vente au public sont extrêmement volatiles ou font l’objet de malversations[16] : il faut par la suite se résoudre à faire respecter leur affichage[17]. Les ressources et subventions ne suffisant plus, on demande de réviser la fiscalité locale par une application de taxes plus fortes. Seule solution trouver : appliquer la taxe maximale sur les spectacles[18]. Décidément, il ne reste plus grand chose à la population pour sortir du quotidien.

La sécurité laisse aussi à désirer car s’il est manifeste que l’on manque de tranchées-abris, la pénurie de matériaux empêche que l’on en ouvre de nouvelles. La situation est désespérée et seul un exode pourrait laisser penser à la population qu’elle obtiendrait un sort meilleur, encore faut-il savoir où aller… et espérer recevoir un bon accueil.



Une « intercommunalité » inévitable

Comme lors de la Première Guerre Mondiale, les communes de l’agglomération sont forcées de collaborer.
Ainsi, au conseil du 27 septembre 1942, M. Verreman « fait connaître notamment qu’après de nombreuses démarches, il a réussi à obtenir la fourniture de 2 baraquements par la ville de Rosendaël et ce pour remédier au manque de classes dans les écoles. Par son intervention, les frais de construction furent pris en charge par la Reconstruction Immobilière et il a été accordé de monter ces baraquements avec des cloisons en briques et des toits en tuiles. »
L’on s’installe dans le provisoire qui dure… De même, l’on apprend que « la ville de Dunkerque a fait parvenir la somme de 5.000 francs en remerciements de nos remises de colis gratuits aux prisonniers dunkerquois dont les parents habitent St-Pol. Cette somme a été versée au Comité des Prisonniers ».
Aucun acteur de la Protection sociale n’est épargné par le manque de moyens et de vivres : « Suivant la promesse faite aux vieillards lors de la visite du mois de juin aux hospices de Dunkerque, une somme de 30 francs a été remise à chacun d’eux par l’intermédiaire de M. Hecq, directeur des hospices. Le service des soupes populaires marche à la satisfaction de tous ». L’activité est en augmentation sensible : 21.625 rations ont été distribuées en mai 1942, 21.750 en juin, 22.375 en juillet.



La mise en place des villes-marraines

Le conseil fait en même temps appel à la solidarité de villes qui sont moins touchées, par le truchement d’un système de villes-marraines[19]. La ville d’Evian, sollicitée en premier, finit par refuser en raison de difficultés financières mais le conseil reçoit l’assurance que cette dernière lui enverra le produit des recettes de fêtes et annonce par la même occasion l’envoi d’une somme de 40.000 francs[20] qui ne tarde pas à arriver car au conseil suivant, le 29 novembre 1942, Charles Delacre peut annoncer l’arrivée de la somme promise par la ville d’Evian-les-Bains et propose d’en prélever les aides à accorder aux oeuvres ci-après : 2.000 francs à l’ouvroir « Saint-Benoît », 2.000 francs à l’ouvroir « N-D de Lourdes », 2.000 francs à l’ouvroir de la cité des Cheminots. Ces dernières sommes, à l’exception de la Cité des Cheminots à qui n’est alloué que 1.000 francs, sont aussitôt votées. Une seconde somme de 40.000 francs arrive début avril 1943

La situation des Saint-Polois se dégrade encore plus en novembre 1942. Le contexte général ne plaide pas pour une amélioration : les besoins de l’occupant, en très grande partie à la charge de l’Etat Français, ne sont pas près de se réduire depuis l’invasion de la zone dite libre. Il faut renforcer l’intervention directe de la commune auprès de ses concitoyens car ils manquent singulièrement de produits de base : « La fourniture des soupes aux écoliers est commencée depuis le 12 octobre. Nous livrons actuellement près de 2.000 rations par jour. Ce service coûtera cette année près de 100.000 francs avec les frais d’installation. Nous devons envisager pour le mois de novembre une distribution totale de 50.000 rations dont environ 15.000 pour les indigents, distribution gratuite et 35.000 pour les écoliers – rations vendues 25 centimes. D’autre part le Secours National nous seconde également dans les fournitures nécessaires pour ces soupes jusqu’à concurrence d’une valeur de 0,40 centimes par ration. ».

Toutes les catégories d’âge sont concernées et les aides se multiplient : « en accord avec le représentant du Secours National, une distribution de pain et de confiture est faite chaque samedi aux enfants des Ecoles maternelles» [21]. En même temps, les catégories de personnes à secourir s’accroissent : aux prisonniers et aux sinistrés s'ajoutent les membres des familles des habitants arrêtés par les Allemands.

On accueille avec enthousiasme l’annonce du gouvernement. En plus de l’aide promise par la ville d’Evian, le gouvernement annonce au conseil municipal que la ville de la Guadeloupe des Antilles françaises adopte – sur ordre de l’Etat – la commune de Saint-Pol-sur-Mer. L’aide qui en viendra par la suite est d’autant plus importante que la Guadeloupe, administrée par une Amiral nommé par Vichy, y maintient un régime autoritaire et que la situation face à la France Libre et aux Alliés y est terrible : aux privations de liberté s’ajoutent la disette et la crise économique. Les conseillers adressent leurs remerciements au Gouvernement mais y notent tout de même « qu’il aurait été plus favorable d’être adoptée par une ville de la Métropole comme l’ont été nos villes et communes et villes environnantes.»[22]. Une première subvention arrive le 11 avril 1943…



Des difficultés sans cesse croissantes pour le ravitaillement…

L’année 1943 se place en droite ligne de la précédente : dès le conseil du 10 janvier, pour tenter d’adoucir une vie de plus en plus difficile, notamment pour les plus pauvres. le maire annonce ainsi : « J’ai personnellement (note le maire) pressenti M. l’abbé Samsoen[23], Président du Secours National de St-Pol de mon désir de voir servir un bon repas à tous les Assistés Obligatoires et aux Habitants Privés de Ressources. Un accord est intervenu et il reste à préparer cette petite manifestation. Je prie la commission des fêtes de bien vouloir répondre à une convocation qu’ils recevront très prochainement pour cette mise au point. Je puis vous aviser que le menu comprendra un potage, hors d’œuvre (langue de bœuf), un plat de tripes, une purée de pommes de terre, un gâteau et un litre de vin pour trois ou quatre personnes. ».

Mais aussi rare qu’il puisse être, ce repas n’est qu’une éphémère pause dans les restrictions car en avril 1943 apparaissent de nouvelles cartes de rationnement et de nouvelles restrictions.

Le conseil du 11 avril permet de faire un point précis sur les besoins… et les disponibilités. Pour le lait, « l’agglomération est divisée en 2 secteurs, l’un celui de Malo-Rosendaël contrôlé par M. Marchillie, l’autre comprenant les autres communes, contrôlé par M. Legrand, directeur des coopératives de Flandre et d’Artois. A l’avenir, tout le lait ramassé pour couvrir les besoins des 2 secteurs formera au départ une masse. La répartition se fera automatiquement selon l’importance des cartes délivrées par chacune des communes ». Le Sous-préfet a du prendre des mesures en vue de s’assurer de sa qualité[24]. Il devient aussi très difficile de dépasser la dotation allouée à la commune pour les boites de lait concentré : « celles-ci étaient réservées par le passé aux enfants de moins de 18 mois et que suivant les mêmes instructions de M. le Secrétaire d’Etat à la Santé, cette répartition ne peut se faire que jusque l’âge de 6 mois exceptionnellement chez les enfants plus âgés ».

Les vêtements sont recherchés: « La question épineuse est toujours celle des bons de chaussures d’usage pour les femmes qui pratiquement n’existent plus puisque seules les futures mères peuvent en obtenir par notre intermédiaire directement des services de la Préfecture. En ce qui concerne la délivrance des bons d’achat et d’articles de textile, nous arrivons tant bien que mal à en sortir avec le contingent mensuel des points qui nous est distribué. Evidemment, nous appliquons très sévèrement les dispositions qui ont été prévues précédemment. (…) Nous avons constaté que des enfants âgés de moins de 13 ans ne fréquentaient pas l’école. S’il a été reconnu que certains enfants étaient malades, pour d’autres la majorité du reste, il a été donné des excuses qui tiennent plus ou moins. Le motif invoqué était le manque de chaussures. En espèce, si la situation n’est pas brillante, il faut cependant retenir que notre service de chaussures a distribué de septembre à fin décembre 200 bons de chaussures d’usage et 708 bons de galoches pour enfants. Pour la catégorie galoches, il nous reste encore 200 bons disponibles ainsi que 200 bons fantaisie, malgré nos avis, le nombre de personnes qui s’y présente pour en retirer est insuffisant. »

Se chauffer est délicat : « A titre de renseignements, des nouvelles feuilles de tickets pour isolés civils et militaires sont mis en circulation à partir du 1er février. Il vient d’être prévu l’attribution du coupon de 50 kg de charbon par mois de congé aux militaires en congé de convalescence d’octobre à mai sur présentation de justifications. Il est également prévu une attribution qui devra être basée sur la valeur mensuelle de la carte et proportionnée à la durée de la permission pour les ouvriers travaillant en Allemagne permissionnaires, il ne sera fait aucune attribution si la permission est inférieure à une semaine ou si le calcul prévu fait ressortir le chiffre inférieur à 25 kg ou demi-coupon. » .

Bref, rien n’est simple dans une commune occupée.



… et de nouveaux besoins

Le conseil du 28 juillet 1943 permet de dresser un autre inventaire des besoins par la lecture des subventions allouées : 2.000 francs pour le dispensaire d’hygiène social qui soigne alors 394 famille saint-poloises. Une autre somme de 2.000 francs également est attribuée au patronage Saint-Benoît. les fonds sont prélevées sur la subvention de la ville d’Evian.
La municipalité ne ménage pas ses efforts mais on peut noter une (légitime ?) satisfaction : « La précieuse activité de l’administration municipale a permis de faire attribuer à la ville d’importantes subventions qui serviront à soulager ceux qui souffrent et ceux qui ont payé un large tribut du fait de la guerre. La commission nommée à l’occasion de la réception du don de la ville d’Evian a été également chargée de la répartition du don de la Guadeloupe. »

Les aides s’adressent à la presque totalité de la population : « Tout d’abord une somme supplémentaire de 100 francs sera attribuée à chaque bénéficiaire du Bureau de Bienfaisance pour le mois d’août. Chaque habitant privé de ressources recevra également une somme de 100 francs. Les Saint-Polois hospitalisés ne seront pas oubliés et à l’occasion de la ducasse communale recevront chacun 50 francs au lieu de 30 francs. (…) Ayant eu une délicate pensée à l’égard des travailleurs partis en Allemagne, la commission des Finances a proposé une subvention de 15.000 francs pour payer la confection et l’envoi de colis à ces travailleurs.».

Ces ouvriers en Allemagne[25] apparaissant pour la première fois dans les compte-rendus de séance. Le maire avise le conseil municipal « qu’un comité d’assistance aux travailleurs français en Allemagne a été constitué à Dunkerque et que ce comité a sollicité une subvention des municipalités de l’agglomération. » Cet organisme peut être considéré comme le seul habilité à s’occuper de l’envoi de ces colis aussi, le conseil vote une subvention de quinze mille francs à prélever sur le don de la Guadeloupe à verser aux organismes au fur et à mesure de leurs besoins.

Toute la population est fragilisée : l’on se résout à offrir « chaque semaine des petits repas (…) par deux ou trois fois aux mamans et futures mamans en deux sections différentes. Cette oeuvre de bienfaisance est organisée par la Croix Rouge Française et par le Secours National ». Pour cela, on dote de 5.000 francs le groupe de Mme Marc, rue Jules Ferry dont l’effectif est de 20 mères de et de 2.500 francs le groupe de Mlle Verriest cité des Cheminots dont l’effectif habituel est de 10 mères de famille.



La Libération n’est pas pour demain

1944 n’évoque pas la libération à Saint-Pol-sur-Mer mais, bien au contraire l’évacuation. L’étau se resserre autour des Allemands qui ont créé un camp retranché et l’on commence à évacuer des populations de plus en plus nombreuses. Il faut aussi les nourrir pour le trajet et prévoir « pour le départ du train des évacués un bol de soupe chaude. Demande des dépôts pour entreposer les bagages Place Carnot, Ecole Anatole France et baraquement place Jean Jaurès. Entrevoir (sic) de la paille 2 ballots par fourgon si ce sont des fourgons à bestiaux. »[26].

Si la majeure partie de la France célèbre les libérateurs et salue l’esprit de résistance insufflé par le Général de Gaulle, les heures restent sombres pour les saint-polois. Seuls obligés à rester, les hommes en âge et en force de travailler pour l’édification des défenses de la Forteresse de Dunkerque, pour lesquels la municipalité sera obligée d’ouvrir un « restaurant populaire ».

Le dernier conseil municipal à siéger dans la mairie se tient le 13 juillet 1944. Une part appréciable de la population a été évacuée vers Lille mais aussi et surtout vers la Marne, la Haute-Marne, l’Aube et la Côte D’or où les populations évacuées.



Prisonniers chez eux

Un épisode peu connu attend encore une infime partie de la population saint-poloise : les camps d’internement.
On peut considérer que le Nord est libéré septembre 1944 mais la victoire est incomplète : l’étau se resserre encore autour des Allemands enfermés dans la poche de Dunkerque, où sont restés pas moins de 12.000 Allemands[27] et 25.000 civils. Une trêve est conclue les 4 et 5 octobre afin d’évacuer presque tous les civils. Quelques réfractaires, qualifiés par les autorités allemandes de « bouches inutiles », refusent de partir.

Pour mieux les contrôler (et mettre main basse sur leurs vivres), les occupants créent quatre camps d’internement le 14 février 1945 à Coudekerque-Branche, Malo, Rosendaël et Saint-Pol[28]. Le capitaine Schmidt est nommé pour les commander et loge dans le camp. On lui adjoint un chef civil, le maire de Petite-Synthe, M. Albert Barbary[29]. Sa charge lui impose de faire l’appel des internés, de surveiller l’aspect du camp, de répartir les vivres et de servir de « juge de paix ». Plus encore, étant le seul magistrat resté dans la Poche de Dunkerque, il assure des fonctions majorales. Sa tâche est lourde car le camp de St-Pol accueille 110 internés venant de cette ville, de Fort-Mardyck, de Grande-Synthe et de Petite-Synthe.

Les Allemands imposent de travailler aux internés contre un maigre rationnement. Les corvées peuvent être payées mais au tarif pratiqué par les armées d’occupation (8 francs de l’heure), et ce dès l’âge de 14 ans. Il ne peut y avoir de « bouche inutile » pour l’amirauté allemande : les femmes sont réquisitionnées pour la lessive et des travaux de couture. Elles doivent fournir des vêtements pour la troupe qui manque de tout. Les hommes, quant à eux, sont employés à la construction et au renforcement des fortifications comme aux travaux agricoles puisque le ravitaillement manque cruellement. On s’organise comme on peut. La population élève de nombreux animaux destinés à améliorer l’ordinaire : plus de 600 lapins, presque 400 poules, des canards, des oies, des vaches et des chevaux[30]. On manque de tout et il faut appliquer chaque jour le « système D » : pour moudre du grain, les habitants bricolent un moulin à partir d’un vélo et si les cigarettes vendues par les Allemands sont trop chères (20 francs l’unité), l’on fume des feuilles de groseilliers. Aucun ravitaillement n’est à espérer des troupes allemandes, plus démunies encore et réduites à attendre d’hypothétiques livraisons par Seehund[31], et encore moins des Français, Canadiens et Tchécoslovaques qui assiègent l’agglomération.

Les Alliés continuent de pilonner Dunkerque. Les camps sont aussi touchés par les bombardements, qui viennent alourdire les pertes humaines. Chaque interné avait gardé l’espoir que la guerre prendrait vite fin mais le 18 avril, une nouvelle trêve est conclue : 145 civils désignés par l’occupant quittent le camp dont 3 internés de St-Pol que des camions britanniques emmènent à Lille. Le 9 mai, enfin, au terme de 85 jours d’internement, les Saint-Polois[32], peuvent connaître enfin la liberté pour quelques temps. En effet, le Vice-amiral Frisius ayant reçu de Berlin l’ordre de se rendre, la capitulation prend effet dans la journée.

C’est tout naturellement que les civils retournent chez eux. La liberté est de courte durée car les britanniques les emmènent tout de suite à Lille où l’on soupçonne ces réfractaires d’intelligence avec l’ennemi pour finalement les disculper. Les Anglais tiennent la ville et en proscrivent l’accès, provoquant l’incompréhension des civils : comment se fait-il que leur ville leur soit interdite alors que les Allemands ont toléré leur présence… Ce n’est que le 21 avril que l’agglomération fut rendue aux Français, fermant définitivement la parenthèse du camp de St-Pol. Les habitants peuvent revenir enfin de leur exil (notamment dans la Marne, l’Aube ou la Côte d’Or), un conseil municipal est réinstallé et le camp d’internement passa au rang de un mauvais souvenir .



La délégation municipale récupère la gestion communale

Le Comité de Résistance et de Libération nomma une délégation municipale, représentative de la vie politique d’avant-guerre[33] à la tête de laquelle le Président de la délégation, Auguste Caffier, doit remettre en état une ville sinistrée, faire face au rationnement et au ravitaillement, à la reconstruction comme au retour des saint-polois exilés, prisonniers[34], travailleurs en Allemagne, etc. Ceci étant rendu plus ardu par la ruine du port des industries locales et des conditions sanitaires difficiles[35]… Le premier conseil de la délégation ne peut se tenir que le 8 juin 1945. Auguste Caffier ne survivra pas à l’ampleur de la tâche, il décède le 28 juillet 1945 à l’âge de 45 ans et est immédiatement remplacé par Marceau Pladys[36]. Pour la première fois est réellement faite mention de la guerre hors des limites de la commune en reconnaissant le caractère spécifique de l’occupation en France comme sur le littoral dunkerquois :


« La délégation, persuadée d’exprimer la volonté de la quasi-totalité de la population qui connaît les horreurs des camps de concentration nazis par les récits des habitants de la localité et d’ailleurs, revenus des bagnes ;
Invite M. le Chef du Gouvernement Provisoire de la République à user de son autorité pour que soient immédiatement décrétées les mesures suivantes qui sont celles que réclament les déportés eux-mêmes :
1° une prime de 10.000 francs
2° vestiaire complet
3° exonération des loyers pour le temps de l’absence et moratoire pour la suite
4° Assistance médicale gratuite entièrement
5° Amélioration du ravitaillement en tenant compte des conseils du corps médical
6° Reclassement professionnel et aide particulière aux jeunes dont les études furent interrompues ou qui n’ont pu faire l’apprentissage d’un métier.
7° de répondre à la volonté de toute la population qui exige que soient impitoyablement châtiés tous ceux qui sont responsables à des titres divers de ce long martyr des meilleurs français et françaises, et pour cela que tous les organismes chargés de cette épuration, soient désignés par les déportés eux-mêmes, ceux d’entre eux qui restent les meilleurs dans toutes les épreuves
».


Les saint-polois découvriront encore l’horreur de la débâcle allemande en apprenant la disparition de la veuve et de deux des trois enfants du Dr Gelain, assassinés à Oradour-sur-glane alors qu’ils pensaient trouver la sécurité que Saint-Pol-sur-Mer n’offrait plus…
La gestion de la commune connaîtra encore de nouvelles difficultés, même si la majeure partie de la délégation est reconduite dans ses fonctions, avec Marceau Pladys à sa tête, dans le cadre d’un nouveau conseil municipal installé le 9 octobre 1945. la reconstruction commence d’un provisoire qui dure tant la tâche à accomplir est immense…


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Avec mes remerciements à M. Christian Hutin, maire de Saint-Pol-sur-Mer, conseiller régional, de lui avoir laissé la totale disposition des registres concernant le sujet.

[1] Voir notamment les travaux de l’Association MEMOR .
[2] Bien que ce port se situe sur la Mer du Nord
[3] Le premier juin 1940, un appareil ennemi lâche trois torpilles sur l’abri du Comptoir Linier (usine textile spécialisée dans le jute) où se trouvent habituellement 200 personnes. La cave ne résiste pas. 67 personnes y ont trouvé la mort et l’on en sort 20 blessés graves, certaines familles sont totalement anéanties.
[4] Conseil municipal du 10 septembre 1939
[5] Maire socialiste de la commune, il décède le 28 novembre 1943
[6] Conseil municipal du 24 août 1940
[7] Demande de prêt des conseils municipaux des 19 juin et 24 août 1940, demande d’avance à l’Etat Français le 20 septembre 1940 et le 7 mars 1941.
[8] Conseil du 26 avril 1941
[9] Devenu par la force des choses premier employeur dans la commune
[10] Conseil municipal du 12 décembre 1941
[11] Ancien officier de Marine Marchande, ancien conseiller municipal.
[12] En citant « l’arrêté préfectoral en date du 29 novembre 1942 [le] nommant maire de Saint-Pol-sur-Mer » puis «l’arrêté préfectoral en date du 23 février 1942 nommant les conseillers municipaux, vu les articles 3, 4 et 5 de la loi du 16 novembre 1940 portant réorganisation des corps municipaux. »
[13] Avec quels moyens le pourrait-on alors que la guerre n’est pas terminée et que les attaques, alliées cette fois-ci, sont régulières sur l’agglomération ?)
[14] Conseil municipal du 15 mars 1942
[15] Conseil municipal du 12 avril 1942
[16] C’est le cas pour les rares oranges disponibles à cette époque
[17] Conseil municipal du 3 mai 1942
[18] Conseil municipal du 3 mai 1942
[19] Dunkerque ayant Paris pour marraine.
[20] Conseil municipal du 27 septembre 1942
[21] Conseil municipal du 29 novembre 1942
[22] Conseil municipal du 29 novembre 1942
[23] Curé de la paroisse Saint-Benoît, paroisse principale de la ville.
[24] Faut-il y voir la prise en compte de certaines fraudes comme le mouillage pour en augmenter la quantité ?
[25] Et dont rien ne dit ici le statut : « relève » ou STO ?
[26] Conseil municipal du 13 février 1944
[27] Une division de la Wehrmacht et des éléments de la Kriegsmarine.
[28] Dans cette dernière commune, les civils furent enfermés entre les rues Ferrer, Etienne Dolet, Victor Hugo et Faidherbe. Les limites sont marquées par des clôtures en barbelés.
[29] A qui est affecté l’immeuble du 5, rue Ferrer pour y installer son administration
[30] D’ailleurs 45 internés jugent inutile de travailler pour l’occupant contre des vivres, possible preuve s’il en est de la validité de leurs ressources.
[31] Sous-marins de poche affectés au port dunkerquois, dont il reste encore un exemplaire au château-musée de Brest.
[32] Et les autres internés
[33] Permettant le retour aux affaires des formations de gauche, traditionnelles de la gestion municipale saint-poloise
[34] Avec le nouveau souci de les loger : que faire si leurs demeures ont déjà été réquisitionnées pour y installer des sinistrés ?
[35] Arrêté municipal d’août 1945 sur la prudence à suivre en raison des épidémies de dysenterie – dont plusieurs cas se sont révélés mortels – et de fièvre typhoïde., arrêté du 5 septembre 1945 sur les rats et autres rongeurs et arrêtés successifs concernant les horaires de destructions des munitions.
[36] Installé le 8 septembre 1945

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